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Émile Poulat (1920-2014)

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Né le 13 juin 1920 à Lyon, mais ayant passé l’essentiel de sa jeunesse à Paris, Émile Poulat, réfractaire au STO pendant la guerre, est ordonné prêtre en 1945. Licencié en lettres classiques et en philosophie, docteur en théologie (1950), il intègre, fin 1949, la Mission de Paris, qui compte dans ses rangs de nombreux prêtres-ouvriers. Lui-même prend un travail salarié, mais pas en usine. En 1954, il se rallie à la position des insoumis quand Rome décide de mettre fin à l’expérience des P.O. Sorti de fait du clergé, il entre au CNRS où, avec Henri Desroche, François-André Isambert et Jacques Maître, il fonde le Groupe de Sociologie des Religions, patronné par Gabriel Le Bras, qu’il dirigera de 1970 à 1980. Il est aussi, avec les mêmes, à l’origine, en 1956, des Archives de Sociologie des Religions, dont il coordonnera pendant de longues années l’impressionnant bulletin bibliographique.

Disciple d’Ignace Meyerson et de Gaston Bachelard, il se fait une spécialité de la sociologie historique du catholicisme. Après des travaux approfondis sur le modernisme (thèse de doctorat d’État en 1962) et l’intégrisme, mais aussi les prêtres-ouvriers, il développe un modèle d’interprétation du catholicisme postrévolutionnaire. Exposé dans Église contre Bourgeoisie (1977), celui-ci met en évidence l’intransigeance de l’Église face à la société moderne, son double rejet du libéralisme et du socialisme au profit d’une troisième voie, expression d’un catholicisme intégral porté par le mouvement catholique : écoles, patronages, œuvres diverses, syndicats, parfois partis, tout un ensemble constituant à la fois une contre-société et une contre-culture.

Directeur de recherche au CNRS et directeur d’études à l’EHESS, il porte une grande attention à la laïcité, qu’il aborde en historien, par sa genèse, et qu’il définit comme « la liberté publique de conscience ». Récusant l’idée d’une neutralité excluant les religions de l’espace public, il explique que « le régime de laïcité est un régime d’inclusion, où il y a place pour tous, sans distinction de race, de religion, de croyance, de sexe, etc. ». Chroniqueur à La Croix de 1983 à 1999, il est régulièrement consulté comme expert par la Conférence épiscopale française. La République le sollicite aussi : en 2005, le Premier ministre, Jean-Pierre Raffarin, lui confie une mission d’étude sur l’histoire des négociations entre la France et le Saint-Siège ayant permis, au début des années 1920, de régler une partie du contentieux de 1905. Il synthétise l’essentiel de ses idées sur ce thème dans Scruter la loi de 1905 (2010). Le 9 décembre 2012, jour anniversaire de la loi de Séparation, il est décoré des insignes d’officier de la Légion d’honneur par le Président de la République, François Hollande, à l’Élysée.

Travailleur infatigable, d’une érudition déconcertante, Émile Poulat est décédé le 22 novembre 2014. Il laisse une œuvre considérable (33 livres, plus de 700 articles, plus de 2 000 comptes rendus d’ouvrages). Son ouvrage le plus personnel et le plus attachant est sans doute L’Ère postchrétienne (1994), où il s’interrogeait sur l’effondrement de la culture catholique dans la société moderne, la fin de ce qu’il appelait, en paraphrasant Sengor, la « christianitude », et sur le destin d’un monde ainsi « sorti de Dieu ». 1

Yvon Tranvouez

1 Source: https://journals.openedition.org/assr/26270